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Vendredi 14 octobre, 17 h 30

 

 

— Ça y est ! On a les résultats !

Kent sortit la nouvelle feuille d'analyse ADN de son enveloppe et la posa à côté de celle du cheveu de la clairière. Il compara rapidement les deux et releva des yeux consternés sur Steven. Avant qu'il n'ait prononcé le moindre mot, ce dernier sut à quoi s'en tenir.

— Elles sont identiques ?

Kent hocha la tête.

— La personne qui se trouvait dans la clairière ne fait qu'une avec celle qui s'est introduite chez Jenna.

— C'est elle qu'il vise depuis le début, murmura-t-il.

— Elle vous a rappelé ? demanda Neil.

Steven secoua la tête. L'anxiété lui rongeait les entrailles.

— Allison m'a dit qu'elle était partie avec Seth il y a une demi-heure. Elle ne sait pas où ils sont allés.

— J'espère qu'il a un téléphone portable, dit Neil.

— Oui, il en a un ! Mais, malheureusement, il l'a éteint. Allison pense qu'il voulait discuter tranquillement avec Jenna.

— Si elle est avec Seth, elle est en sûreté, dit encore Neil sans grande conviction cependant. Ne vous inquiétez pas.

Le téléphone de Steven se mit à sonner.

— Oui, j'écoute... Bien... Merci, Liz.

Il raccrocha et leva les yeux vers son équipe maintenant rassemblée au grand complet.

— Nous avons le mandat ! annonça-t-il. Allons rendre visite aux Parker.

 

 

 

Vendredi 14 octobre, 17 h 45

 

Seth se gara près de la tombe sur laquelle Jenna ne s'était pas recueillie depuis deux ans.

Elle lui jeta un regard de biais presque hostile.

— Je ne vais pas m'asseoir sur ce petit banc en fer pour converser avec un mort, lui dit-elle.

Seth sortit de la voiture et vint ouvrir sa portière.

— Alors viens t'asseoir sur ce banc en fer pour parler avec moi, Jenna...

Il l'entraîna doucement hors de la voiture et la conduisit jusqu'au banc qui faisait face à une pierre tombale en marbre sombre et bordée de fleurs.

— C'est joli, fit-elle à voix basse.

 

« A notre bien-aimé

ADAM NATHANIEL LLEWELLYN »

 

Cette inscription était suivie de la date de son décès, le jour qu'elle avait longtemps considéré — jusqu'aux événements des jours précédents — comme le pire de sa vie.

Mais il y avait dans la vie des événements presque pires que la perte d'un être cher, comme elle venait d'en faire l'expérience. Faire du mal à un petit garçon, au point que celui-ci en perde le sommeil. Abandonner son mari et ses enfants en leur laissant un mot d'adieu plein de fiel. Se méfier de la femme qu'on prétend aimer et la laisser seule, à la merci de ses ennemis...

Seth soupira.

— Que vas-tu faire maintenant ?

Il s'était accroupi près de la tombe de son fils pour enlever les mauvaises herbes et nettoyer les fleurs plantées tout autour de la sépulture. Sans doute par Allison ou par lui-même.

— Qu'est-ce que tu veux dire exactement ?

— Par exemple, où vas-tu habiter ? Tu ne peux pas retourner seule dans ton appartement.

Jenna haussa les sourcils, alarmée.

— Tu me jettes dehors ?

Il leva un œil pétillant de malice vers elle et elle en fut rassérénée.

— C'est à cause des mercredis, tu comprends... Je n'aimerais pas me trouver à la même table que toi la prochaine fois qu'Allison nous servira son pâté en croûte.

Jenna éclata de rire malgré elle, le regretta aussitôt et reprit son sérieux.

— Je t'aime, Seth, dit-elle.

— J'y compte bien ! Je t'ai aussi entendue dire à ce jeune homme que tu aimais son père.

— Tu écoutais notre conversation ?

— Bien sûr ! Comme tu ne me dis jamais rien, je suis bien obligé de prendre certaines initiatives pour savoir ce qu'il se passe dans ta vie...

Il sentit la colère de Jenna sur le point d'éclater et s'empressa de changer de sujet :

— Evelyn Kasselbaum se rétablit rapidement. Les médecins disent qu'elle pourra rentrer chez elle dès demain.

— Tant mieux. J'en suis ravie pour elle.

Il se redressa sur ses talons pour contempler son œuvre.

— Pas mal, fit-il.

Jenna le regarda et sentit son humeur s'adoucir.

— C'est la plus belle tombe du cimetière, dit-elle.

Seth sourit obligeamment.

— Merci. Mais je sens que cet endroit te fait flipper... Je me trompe ?

Elle étouffa un gloussement.

— Cet endroit me « fait flipper » ? Quel vocabulaire ! Tu surveilles aussi les conversations de Charlie, à ce que je vois.

— Il faut bien que je me renseigne sur ce que font mes filles, puisqu'elles ne me disent rien, expliqua-t-il. Bon, parlons sérieusement de Steven, Jenna. Il t'a brisé le cœur et, rien que pour ça, il mérite l'enfer... Mais il ne l'a pas fait exprès, je l'ai vu dans le fond de ses yeux. Vas-tu renoncer au bonheur qui se présente à toi par pure rancune ? Pour le plaisir de la vengeance ?

— Ce n'est pas un plaisir.

Il secoua la tête.

— Oh que si, c'en est un ! Ce n'est pas un plaisir du même genre que la crème glacée ou qu'une bonne nuit d'amour...

— Seth !

— Mais c'est un plaisir malsain, poursuivit-il comme si elle ne l'avait pas interrompu. C'est le plaisir de tout contrôler, ou du moins ça m'en a tout l'air. Jenna, tu sais quel est ton problème ? Tu vis dans la peur de ne plus contrôler ta vie...

— Et alors ? dit-elle.

— Et alors, tu ne peux pas tout contrôler. Tu fais tous les efforts pour y arriver, mais tu n'y arrives pas, évidemment. C’est cette tendance maladive qui te pousse à prolonger le deuil de mon fils... Tu refuses d'admettre qu'il est parti.

— Alors ça, c'est la meilleure ! Parce que c'est moi, peut-être, qui me rends sur sa tombe tous les week-ends ou qui cuisine ses plats favoris le jour anniversaire de sa mort ? Moi, j'ai fait mon deuil, Seth. Mais vous, les Llewellyn, n'y parvenez pas ! C'est ça qui me fait flipper !

— Je dois admettre que je n'apprécie pas trop, non plus, les dîners en sa mémoire, dit Seth. C'est ma femme, comme tu le sais, qui a initié cette tradition, et Allison l'a perpétuée. Mais ce n'est qu'une manière de se souvenir de lui, pas de s'accrocher à son fantôme. C'est toi qui portes encore sa bague au doigt...

— Mais non, dit-elle en tendant sa main gauche exempte de toute bague.

Puis elle constata qu'elle avait fermé sa main droite, cachant ainsi son pouce orné de la bague d'Adam.

Elle l'ouvrit et l'agita en regardant la lumière déclinante de la fin d'après-midi faire briller le motif celtique.

— En fait, si, admit-elle.

Seth tendit la main vers elle.

— Alors, retire-la.

Mais elle ne bougea pas.

— J'imagine que ce doit être difficile d'aimer une femme qui porte la bague d'un autre, dit-il encore. On doit se poser de drôles de questions : m'aime-t-elle vraiment ou entretient-elle toujours la flamme allumée par le défunt ? En ce qui te concerne, Jenna, quelle est la réponse ?

— Je...

Elle secoua la tête et balbutia :

— Je ne sais pas.

— C'est une réponse qui a le mérite de la franchise.

— Adam n'aurait jamais été jaloux de moi !

— Mais si, il l'était.

Il se leva et épousseta les brins d'herbe qui s'étaient collés sur ses genoux.

— Pourquoi crois-tu qu'il s'était mis au karaté ? Il détestait le karaté. Mais il était jaloux de Mark.

— De Mark ? répéta Jenna, incrédule. Mais c'est absurde ! Mark était son meilleur ami ! Et puis Mark et moi n'étions que bons amis.

— Il le savait très bien. Et il savait que tu lui serais fidèle, mais il voulait quand même être là, pour en être absolument certain...

— C'est si absurde...

Non, à y bien songer, ce n'était pas si absurde que cela. Adam n'aimait pas le karaté, effectivement, mais il y allait assidûment toutes les semaines, sans jamais manquer un cours.

— Mon fils n'était pas parfait, Jenna, mais il t'aimait plus que lui-même. Quand il est mort, j'ai eu l'impression de perdre la meilleure part de moi-même. Mais il t'a laissée derrière lui, et je t'aime comme si tu étais ma propre fille. Si tu savais mieux faire le pâté en croûte qu'Allison, je t'aimerais peut-être davantage qu'elle...

Jenna se mit à rire, comme Seth l'espérait.

— Je n'ai jamais voulu que tu passes ton temps à te lamenter sur la tombe d'Adam. J'espérais que tu recommences ta vie et que tu trouves quelqu'un qui te rende ne serait-ce qu’à moitié aussi heureuse que tu aurais pu l'être avec lui.

Il se racla la gorge avant de reprendre d'un ton bourru :

— Alors dis adieu une bonne fois pour toutes à mon fils et remets-toi à vivre. Si c'est Steven que tu aimes, jette ta rancune à la rivière, parce qu'elle n'est fondée que sur du vent. Si tu ne l'aimes pas, dépêche-toi d'en trouver un autre. J'ai envie d'avoir d'autres petits-enfants, et je ne rajeunis pas...

Jenna se leva et le serra dans ses bras.

— Je t'aime, Seth, dit-elle une nouvelle fois.

— Je sais, grommela-t-il. Et Steven, tu l'aimes ?

— Oui, oui, je l'aime.

— Alors va le lui dire !

— D'accord, je vais le faire, mais j'ai quelque chose à dire à Adam, d'abord. Tu m'accordes une minute ?

Il sourit.

— Je vais nettoyer les sépultures voisines. Les familles des défunts ne viennent pas aussi souvent qu'elles le devraient.

— Allison est vraiment excentrique, tu sais, Adam. Les dîners en ta mémoire me font vraiment flipper, comme dirait Charlie, et son pâté en croûte a un goût de carton visqueux. Mais ils t'aiment, et tu leur manques.

Elle tira sur une mauvaise herbe qui avait échappé à la vigilance de Seth et poursuivit :

— Ils ont continué à vivre, malgré leur chagrin. Et maintenant, je crois que je vais faire la même chose...

Elle ôta sa bague et la posa sur la stèle verticale de la pierre tombale.

— Seth pourra la garder... Et la donner à Charlie quand elle aura grandi. Je t'aimerai toute ma vie. Et je regrette de t'avoir comparé à un pot de glace à la vanille un peu fade. Tu étais plutôt une tranche napolitaine...

Elle gloussa en énonçant cette comparaison saugrenue et ajouta :

— Steven, lui, serait plutôt du genre Rocky Road.

Elle passa délicatement la main sur le nom qui était gravé dans le marbre.

— Ne t'en fais pas pour moi, Adam. Je vais bien. Très bien même.

— Je n'irais pas jusque-là, fit une voix dans son dos.

Jenna se retourna brusquement et se raccrocha à la stèle en chancelant.

— Josh ! Mais qu'est-ce que tu fais là ?

 

 

 

Vendredi 14 octobre, 18 h 15

 

— Vous n'avez pas le droit d'entrer chez moi !

Mme Lutz se tenait sur le seuil de sa maison, serrant son col autour de sa gorge.

— Oh, mais si, madame ! répondit Steven. Nous avons un mandat.

Il tira le précieux sésame de sa poche et le lui montra. Puis il passa devant elle en regardant autour de lui. Il avait posté des agents à chaque ouverture de la maison, pour le cas où l'un des membres de la famille tenterait de s'enfuir.

— Où est Josh ? demanda-t-il.

Elle serra son col un peu plus fort.

— Il n'est pas ici, dit-elle.

— Et Rudy ?

— Il n'y est pas non plus. Il faut que j'appelle mon mari.

— Faites donc, madame, dit Sandra qui avait suivi Steven dans l'entrée. Il y a des limites au mandat de perquisition, Steven ?

— Non, aucune.

Liz avait fait du bon boulot.

— Cette chère Liz, dit Sandra d'un ton affectueux. Je file fouiller la chambre de Rudy.

— Et moi, celle de Josh...

Mme Lutz se jeta alors sur Davies, qu'elle venait de reconnaître, et se mit à lui marteler le torse à coups de poing rageurs. Deux agents s'interposèrent aussitôt et la maîtrisèrent, tandis qu'elle se tordait les mains de rage. Et de douleur, pensa Steven avec un malin plaisir. Elle a dû se faire mal en tapant sur le gilet pare-balles de Davies.

— Vous ! hurla-t-elle. Vous avez ruiné notre vie en montant un coup tordu contre mon fils à Seattle !

Elle essaya de se jeter une nouvelle fois sur Davies, mais les agents parvinrent à la retenir. Davies se contenta de la regarder d'un air impassible.

— Je n'ai pas monté de coup tordu contre votre fils, lui dit-il avec le plus grand calme. Je me suis simplement trompé de fils.

Elle blêmit à ces mots et se débattit de plus belle pour échapper aux agents qui tentaient toujours de la maîtriser.

— Vous mentez ! Mon Joshua ne ferait pas de mal à une mouche... C'est la faute de cette garce de prof. Tout ça, c'est elle qui en est responsable !

— Responsable de quoi, au juste, madame Parker ? demanda Davies.

Elle bredouilla quelques mots inaudibles, puis sembla se calmer d'un coup.

— C'est elle qui a donné une mauvaise note à Rudy. Aucun de mes deux fils n'a porté la main sur elle. C'est une menteuse si elle prétend le contraire !

— Nous ne sommes pas ici pour enquêter sur les actes de vandalisme commis au lycée, dit Steven, mais sur des meurtres en série.

A ces mots, Mme Lutz s'évanouit.

Steven la laissa entre les mains des agents et gravit l'escalier précipitamment, suivi de Davies.

— Vous, vous avez le don de vous faire des amis !

Davies haussa les épaules.

— Ce n'est pas ma faute si je suis inoubliable.

La chambre de Josh était impeccablement rangée. Neil alla tout droit à la table de chevet, ouvrit le tiroir et en sortit un épais volume.

— Je parie que ce n'est pas la sainte Bible, dit Steven.

— Non, c'est Moi, Claude de Robert Graves. Vous l'avez lu ?

Steven ouvrit l'un des tiroirs de la commode et entreprit de fouiller parmi les chaussettes et les caleçons.

— C'est aussi marrant que le Capitaine Slip ? demanda-t-il.

— Non, pas vraiment. Claude était vingtième dans l’ordre de succession pour le trône d'empereur de Rome. Pendant que les autres héritiers de Caligula s'entre-tuaient, il jouait les débiles pour que les prétendants au trône le jugent inoffensif.

Il ouvrit le livre et le feuilleta avant de le poser sur le lit.

— Il a fini par leur survivre à tous et il est monté sur le trône. Ce personnage que tout le monde trouvait falot et inoffensif est devenu le maître du monde.

Steven trouva un carnet à croquis sous une pile de chemises soigneusement pliées et le tendit à Davies pour lui montrer les dessins de l'emblème du collège que Josh avait tatoué sur le crâne rasé de ses victimes.

— Regardez ça, dit-il.

— Des esquisses... Pour se faire la main.

Neil ouvrit la porte d'un placard et se figea.

— Oh, mon Dieu, Steven, venez voir ça...

Steven referma le tiroir et vint jeter un coup d'œil à la découverte de Davies.

Dans le placard, un autel était consacré à Jenna.

 

 

 

Vendredi 14 octobre, 18 h 15

 

Josh fit un pas vers Jenna, et elle remarqua qu'il avait du sang sur les mains.

— Josh, qu'y a-t-il ? Tu es blessé ? Tu as été frappé par ton père ou par Rudy ?

L'adolescent sourit.

— Non, mademoiselle Marshall.

Et Jenna vit alors que quelque chose, en lui, avait changé.

Son regard. Il n'était plus vide, ni découragé, ni soumis. Plus le moindre signe d'humilité dans cet œil vif et acéré.

Elle mit une minute à comprendre, puis s'écria :

— C'est toi qui m'as agressée chez moi !

— Oui, c'est moi, dit-il d'une voix suave en sortant un objet de sa poche.

Jenna regarda autour d'elle, paniquée. Elle se souvint de la force des mains qui l'avaient maîtrisée. Du son qu'avait fait la lame en s'enfonçant dans le matelas sur lequel elle dormait encore quelques instants auparavant. Puis elle se rendit compte de l'absence de Seth et son cœur chavira. Le sang qui maculait les mains de Josh était celui de Seth !

— Espèce de monstre !

Elle s'efforçait de réfléchir rapidement à la situation.

Seth avait les clés de la voiture dans sa poche. Elle ne pouvait donc pas s'enfuir autrement qu'à pied. Il fallait qu'elle aille chercher des secours pour lui. S'il était encore vivant.

Mon Dieu, je vous en supplie, faites qu’il soit encore en vie !

Elle se mit à courir en direction de la route aussi vite qu’elle le put, sans se retourner. Elle reçut aussitôt un choc dans le dos qui la propulsa en avant. Elle tomba lourdement par terre, et fut plaquée au sol. Le genou de Josh s'enfonçait dans ses reins. Il lui passa une main autour du cou et lui saisit le menton, lui tirant la tête en arrière. Elle l'entendit haleter dans ses oreilles.

— Ne me faites pas courir, mademoiselle Marshall, dit-il d'une voix rude, presque sauvage.

Elle sentit que Josh lui appliquait une étoffe rêche sur la bouche et le nez.

Seth... Oh, mon Dieu, Seth, tiens bon !

Et Steven... Elle n'aurait pas l'occasion de lui dire qu'elle lui avait pardonné...

Elle se débattit, retenant son souffle tant qu'elle pouvait pour ne pas inhaler le produit, espérant encore un miracle. Mais cette fois, pas de Jim, pas de Jean-Luc pour la sauver...

Bientôt ses réflexes l'emportèrent sur sa volonté et elle aspira une grande bouffée d'air.

— Voilà, dit Josh doucement. 10, 9, 8...

Elle l'entendit compter à rebours tout en se sentant mollir.

— 7, 6, 5, 4...

Puis elle sombra dans le néant.

 

 

 

Vendredi 14 octobre, 18 h 25

 

Il y avait une lampe dans le placard et Steven appuya sur l'interrupteur. L'une des portes était recouverte de photos, dont certaines provenaient visiblement de l'annuaire du lycée Roosevelt. Mais la plupart étaient des instantanés de Jenna. Pris en gros plan, dans son appartement. Son sang se figea dans ses veines lorsqu'il comprit que Josh avait épié Jenna au travers de la porte vitrée de son balcon.

— Salopard, murmura-t-il.

Sans dire un mot, Davies écarta les vêtements de la penderie et fit apparaître d'autres photos.

Lorraine, Samantha, Alev et Kelly. On les voyait avant et après leur supplice. Les photos des cadavres étaient prises sous différents angles. Celles d'Alev montraient clairement que Josh avait essayé plusieurs manières de disposer les membres tronçonnés avant de créer sa mise en scène macabre sur la dernière scène de crime.

— Il développe lui-même ses photos, comme Jenna l'avait deviné... Je me demande où se trouve sa chambre noire.

— Et moi, je me demande où il conserve ses autres reliques. Je suis sûr qu'il garde des objets en souvenir de ses crimes, dit Neil en ôtant la couverture du lit et en soulevant le matelas.

— Tiens ! Qu'est-ce que c'est, ça ?

Des pilules. Des centaines de petites pilules. Steven en prit une pour l'examiner à la lumière.

— Du Melleril, dit-il à voix basse avant de se tourner vers Neil. Un puissant neuroleptique à base de thioridazine, utilisé en cas de psychose et de schizophrénie... Quand on en prend à forte dose, ce produit diminue les capacités cognitives. Mais, visiblement, Josh ne prend plus ses médicaments. Et je vous parie que sa mère est persuadée que son fils suit gentiment son traitement et qu'il est inoffensif. Il l'a sans doute suivi jusqu'à une date récente, mais il est évident qu'il a cessé de le prendre...

— Ce qui explique pourquoi il a cessé de tuer pendant près de trois ans, dit Neil. Il a dû suivre son traitement pendant tout ce temps-là, et puis il a arrêté...

— Oui, et cette cachette pourrait bien expliquer aussi pourquoi il s'est remis à tuer. Il a arrêté de prendre du Melleril mais a continué de se comporter comme s'il était sous neuroleptiques, pour que personne ne s'en aperçoive.

— Un peu comme l'empereur Claude...

— Mais il a dû se lasser de faire semblant. Il a voulu que Casey sache qu'il s'identifiait au héros de Crime et châtiment... Sandra ! appela-t-il.

Elle les rejoignit, une expression profondément dégoûtée sur le visage.

— Je n'ai jamais vu autant de magazines pornos dans une chambre depuis que j'ai arrêté de travailler à la brigade des mœurs, dit-elle. Dommage qu'on ne puisse pas arrêter Rudy rien que pour ça !

— On en saisira quelques-uns, Sandra, dit Steven. Mais d'abord, faites venir la mère idéale. Je veux voir sa tête lorsqu'elle verra les médicaments que son précieux rejeton n'a pas pris.

Cela valut l'attente, en effet. Le visage de Mme Lutz devint tout blanc, puis vira au rouge vif lorsqu'elle vit la réserve de pilules.

— Vous pensiez que vous le contrôliez, madame Lutz ? lui demanda Steven calmement. Ou préférez-vous qu'on vous appelle madame Parker ?

— Je m'appelle Mme Lutz, dit-elle avec raideur. Et je ne vois pas de quoi vous voulez parler. Je ne sais pas à qui appartiennent ces pilules.

— Vous êtes sûre qu'en cherchant bien nous ne trouverons pas une ordonnance ?

Elle pinça les lèvres et resta muette, ce qui en disait assez long.

Steven se pencha vers elle.

— Où est votre fils, madame Lutz ? Où est Josh ?

Elle se raidit un peu plus.

— Je n'en sais rien.

— Hum... C'est bien dommage, n'est-ce pas ? Ainsi vous ne savez pas comment le prévenir que nous l'attendons ici... Et vous ne pourrez pas lui éviter la surprise que nous lui réservons. C'est que je tiens à expédier votre fils derrière les barreaux, moi.

— Mon fils n'a rien fait de mal ! dit-elle.

— Vous reconnaissez ces filles ? demanda Neil en écartant les vêtements de la penderie. Vous avez dû voir leurs visages aux infos. Trois d'entre elles sont mortes. Comment expliquez-vous que votre fils conserve des photos de leurs cadavres, alors que nous n'en avons jamais diffusé ? Et je parie qu'on va retrouver dans ses affaires des photos des quatre jeunes filles assassinées de Seattle.

— Il faut que j'appelle mon avocat, dit-elle.

Steven lui lança un regard méprisant.

— Allez-y. Il lui faudra du temps pour préparer la défense de votre fils, qui risque la peine de mort. Sandra, accompagnez-la et assurez-vous bien qu'elle n'appelle que son avocat et personne d'autre. Nous allons essayer de trouver le labo photo de Josh. Où est Kent ?

— Je suis là, dit ce dernier, en pointant la tête dans la pièce.

— Bien, dit Steven. Je veux que tout le monde se concentre sur l'endroit où il a emmené ses victimes. Ça fait trois jours qu'il a enlevé Kelly Templeton. Comme il a séquestré Samantha et Alev plus longtemps, nous avons une chance de la retrouver vivante. Je ne veux pas qu'il puisse accrocher une nouvelle photo dans ce placard.

 

 

 

Vendredi 14 octobre, 19 heures

 

Jenna reprit connaissance avec une migraine épouvantable, pire encore que celle qu'elle avait eue après son agression au lycée. Elle avait les chevilles et les poignets liés avec une corde et elle était allongée sur le plancher.

Elle regarda autour d'elle, hébétée. Elle se trouvait dans une grange à haute toiture. La mémoire lui revint peu à peu. Le cimetière... Seth... Adam... Josh... Sa fuite et sa chute. Le sang sur les mains de Josh.

Seth... Où est Seth ?

Elle se tourna sur le côté et tressaillit d'horreur. Sur le mur étaient accrochées des chevelures. Huit chevelures entières. Toutes brunes et longues. Soigneusement tressées et surplombées de photos encadrées de jeunes filles souriantes. Elle en reconnut quatre, les quatre adolescentes enlevées dans la région, tandis que les quatre autres lui étaient totalement inconnues.

Puis Josh entra dans son champ de vision. Il sifflait joyeusement et sa gaieté contrastait de manière terrifiante avec les trophées macabres qui ornaient le mur. Il tenait dans une main un marteau et dans l'autre une photo encadrée.

Il lui jeta un coup d'œil et Jenna vit qu'il tenait un clou entre ses dents. Il s'aperçut qu'elle le regardait, glissa la photo sous son bras et ôta le clou de sa bouche.

— Ah, vous êtes enfin réveillée, dit-il.

Jenna resta silencieuse, sans bouger, tandis que la réalité commençait à s'imposer à son esprit.

Josh était donc un tueur. Il n'était pas ce garçon sympathique, un peu limité sur les bords, qu'elle avait défendu auprès de ses collègues et même de la police. Il n'était pas cette victime d'un père et d'un frère violents, qu'elle avait plainte.

Il avait tenté de la tuer une première fois. Et cette fois-ci, il allait y parvenir.

Arrête, Jenna ! Tu vas lui échapper ! Il le faut. Il y a des gens qui ont besoin de toi, Seth, Nicky, Steven...

Josh sourit en enfonçant le clou dans le mur de la grange.

— Je vois que vous avez remarqué ma jolie décoration… Que pensez-vous de ma dernière photo ?

Il brandit la photo et Jenna sentit sa gorge se serrer.

C'était une photo d'elle au parc. Elle était en train de rire. Elle reconnut le pull qu'elle portait ce jour-là — le jour qu'elle avait passé à apprendre à Nicky comment dresser Cindy Lou. Il l'avait vue avec Nicky !

Oh, mon Dieu, faites qu'il ne fasse pas de mal à Nicky, je vous en supplie !

— Ah, je vois que vous aimez cette photo ! Tant mieux ! s'exclama-t-il.

Il brandit la photo un peu plus haut et l'examina, en penchant la tête sur le côté.

— Vous êtes vraiment très photogénique, mademoiselle Marshall.

— Ne fais pas de mal à ce petit garçon, s'entendit-elle dire d'une voix dure, comme si elle avait le pouvoir de le menacer.

Il fronça les sourcils.

— Je ne m'intéresse pas aux petits garçons. Je ne suis pas un pervers.

— Tu es fou...

Il haussa un sourcil moqueur, comme si ce qu'elle venait de dire était d'une infinie drôlerie.

Jenna sentit la colère monter tout en ayant cruellement conscience de son impuissance.

— Tout le monde pense que je suis cinglé, mais c'est une erreur. Un malentendu...

Il accrocha sa photo au clou.

— Vous comme les autres, d'ailleurs... Ce pauvre Josh qui a besoin de cours de soutien... Bla-bla-bla...

Il se mit à rire, s'accroupit à côté d'elle et tripota l'étoffe de sa chemise au niveau de ses seins.

— Je pourrais vous donner des cours de chimie, mademoiselle Marshall, dit-il d'un ton dédaigneux. Je n'ai pas besoin de vos cours de soutien. Mais vous m'avez donné des idées, en matière de décoration, ajouta-t-il d'un air songeur. J’adore la manière dont vous avez arrangé votre appartement, avec toutes ces images aux murs...

Son visage se convulsa tout à coup, déformé par la rage.

— J'aurais dû tuer vos putains de clébards !

— Tu ne savais pas que j'en avais deux, dit-elle en s'efforçant de ne pas lui laisser voir sa peur. C'est pour ça que tu n'as pas utilisé assez de poison...

— Détrompez-vous. J'avais mis une double dose en espérant que ça le ferait crever dans d'atroces douleurs !

— Mais Jim en a absorbé moins que tu ne le pensais, et Jean-Luc s'est jeté sur toi. Où t'a-t-il mordu ? Aux couilles ?

Elle se dit qu'il en finirait peut-être plus vite avec elle si elle le provoquait ; de toute façon, même si elle se montrait docile et muette, il ne l'en tuerait pas moins.

— Fermez-la ! ordonna-t-il en lui lançant un regard haineux et en la giflant à toute volée, si bien que sa tête vint heurter le plancher.

— Je vous préfère endormie.

Non. Pas ça. Elle ne voulait pas perdre connaissance une nouvelle fois.

Je ne me réveillerai peut-être jamais.

— Tu vas encore me faire respirer de la kétamine ? demanda-t-elle pour le faire parler et gagner du temps.

Il la regarda d'un œil surpris puis parut en prendre son parti.

— Alors, comme ça, votre petit copain vous a parlé de la kétamine ?

— J'ai vu qu'il manquait des produits dans l'armoire de la salle de chimie.

Il se releva et alla se placer derrière elle, si bien qu'il disparut de son champ de vision.

— Je sais, dit-il. J'ai trouvé votre inventaire hier soir et je l'ai empoché. Je préfère que ça ne s'ébruite pas...

— C'est trop tard. J'ai prévenu la police.

Elle l'entendit émettre un petit gloussement blasé.

— Vous en avez parlé à votre petit copain, hein ? Heureusement qu'il est bête comme ses pieds, celui-là. Il n'arrivera jamais à m'arrêter. Il a fallu que je lui fasse un plan pour qu'il retrouve les corps. N'est-ce pas, Kelly ?

Jenna se raidit.

— Kelly ?

— Hé oui. Elle est ici, elle aussi, mais je ne crois pas qu'elle soit en état de parler en ce moment.

— Tu l'as tuée !

Jenna sentit un sanglot se former dans sa gorge, mais elle parvint à le contenir.

— Non, pas encore, mais ça viendra bientôt. Je voudrais d'abord m'amuser un peu avec vous... Avant de la tuer devant vous... Comme ça, vous saurez ce qui vous attend.

Il réapparut dans son champ, la surplombant de toute sa hauteur. Il tenait à la main une seringue.

— Ça vous fera une sorte de... d'avant-goût, reprit-il. Oui, c'est bien le terme que Mlle Ryan a utilisé l'autre jour.

Il s'accroupit à côté d'elle et posa la seringue par terre.

— C'est toi qui as saboté les freins de ma Jaguar ?

Il la plaqua fermement au sol d'une seule main.

— Ne soyez pas ridicule... Ce n'est pas du tout mon genre. Si j'avais voulu vous tuer de cette manière, vous seriez morte à l'heure qu'il est. Ce sont les amis de mon frère qui ont fait le coup, et de façon inepte comme d'habitude...

— Qu'est-ce qu'il y a, dans cette seringue ? demanda-t-elle en s'efforçant de raffermir sa voix mais sans y parvenir.

Elle savait que sa peur était visible à présent et qu'il s'en délectait.

Sans cesser de sourire, il lui saisit un bras, découpa la manche de sa chemise avec une paire de ciseaux et en arracha le morceau.

— Pourquoi me poser la question, alors que vous avez déjà deviné ? C'est de la kétamine. Et de la bonne !

— Pourquoi ? demanda Jenna. Pourquoi te sers-tu de cette drogue ?

Il passa un élastique autour de son bras et tâta sa veine du bout du pouce.

— En fait, j'ai déjà beaucoup réfléchi à cette question. Je crois que j'en avais tellement marre des médicaments prescrits par les médecins que je me suis accordé une petite compensation.

Elle se débattit et Josh la regarda d'un air irrité.

— Ne bougez pas ! Je ne voudrais pas vous faire mal... Enfin, pas encore !

— Non !

Il grogna et l'immobilisa en enfonçant un genou dans ses côtes.

— Oh mais si ! On n'est pas en cours de chimie... Ici, c'est moi qui commande, et moi je dis oui !

Il ramassa la seringue et la lui enfonça dans la veine.

— Et maintenant, mademoiselle Marshall, détendez-vous. Je vais vous raconter une histoire. Vous allez bientôt vous endormir, mais quand vous vous réveillerez...

Il haussa les sourcils et Jenna vit étinceler dans ses yeux une lueur démente.

— Quand vous vous réveillerez, vous serez dans une forêt... Oui, une forêt, sombre et impénétrable... Et vous serez entourée de loups. Oui, bonne idée, ça... C'est tout à fait adapté à votre cas, puisque vous aimez tant ces sales bêtes. D'énormes loups, féroces et pourvus de crocs terrifiants, bavant et grondant. Ils se jetteront sur vous, un par un, pour vous tailler en morceaux et se repaître de votre chair et de vos os. Et ça fera mal... Très, très mal !

Jenna le regarda d'un air effaré, tout en sentant ses muscles s'engourdir.

— Comment... ? balbutia-t-elle.

Il s'assit en tailleur à côté d'elle et couvrit soigneusement la seringue d'un capuchon.

— La kétamine produit des effets vraiment cool. Vous ne le saviez donc pas ? Pendant la montée, on est influençable et sujet à toutes les suggestions. Pendant la descente, on rêve...

Il sourit d'un air satisfait.

— Vous rêverez ce que je vous dirai de rêver, ajouta-t-il. Parce que c'est moi qui commande, ici.

Jenna voulut se débattre mais son corps était pétrifié.

— Faites de beaux rêves, mademoiselle Marshall, l'entendit-elle dire.

Puis elle sombra de nouveau dans le néant.

 

 

 

Vendredi 14 octobre, 19 heures

 

Le labo photo se trouvait dans la maison même, dissimulé dans le placard d'une chambre inoccupée. Des photos, par centaines, y étaient empilées ou mises à sécher sur des cordes à linge. Il en prit une au hasard.

On y voyait Jenna et lui-même. Ensemble. Photographiés au-dessus de la taille mais... Il déglutit en se souvenant de la nuit où le cliché avait été pris. Emporté par la passion, il avait failli déchirer le pull de Jenna, et elle s'était blottie contre lui, l'avait serré dans ses bras et avait enroulé ses jambes autour de sa taille en pressant ses seins chauds contre sa poitrine. Et ce souvenir délicieux avait été immortalisé en couleur par Josh...

— Steven..., dit Sandra qui se tenait derrière lui.

Elle entreprit de ramasser les photos et de les ranger dans un dossier.

— Nous sommes obligés de les saisir, en tant que preuves. Mais je ferai en sorte que personne ne les voie.

Steven se redressa, posa ses mains sur ses hanches et soupira.

— Merci, Sandra. Je crois que si Josh était là, je le tuerais de mes propres mains...

Sandra lui serra le bras amicalement avant de poursuivre la fouille.

Steven trouva une autre pile de photos. Elles représentaient toutes les cadavres des jeunes filles, dans un endroit qu'ils n'avaient encore jamais vu durant leur enquête. Il sentit les battements de son cœur s'accélérer sous l'effet d'une montée d'adrénaline.

— Sandra, dit-il, regardez ! Ces photos ont été prises à l’intérieur d'une grange. Et là, on dirait un châssis de scie circulaire...

— Ce qui explique la présence de sciure dans la chambre de Kelly...

— En voilà une où l'on voit une fenêtre et où le soleil est bas dans le ciel. Elle a été prise au petit matin.

— Ou au crépuscule, dit Sandra d'une voix tendue. Au travers de cette fenêtre, on distingue une route. On en voit un petit bout, là, derrière ces arbres. Je vais la porter au labo. Ils pourront peut-être l'analyser plus précisément.

— Les négatifs doivent se trouver quelque part...

Steven écarta une autre pile de photos qu'il renversa par mégarde sur le sol.

— Merde !

L'une d'elles représentait Nicky avec Jenna, au parc.

— J'envoie une voiture de patrouille chez vous sur-le-champ, dit Sandra.

— Merci, fit-il.

— Ne vous inquiétez pas. Nicky est avec votre tante, et s'il avait eu un problème on l'aurait su.

Il hocha la tête et tenta de recouvrer son sang-froid.

— Vous avez raison. Je suis sûr que vous avez raison.

Mais son fils avait déjà été enlevé une fois. Il ne fallait pas que cela se reproduise.

— Allez boire un verre d'eau, Steven. Ce n'est pas le moment de défaillir...

C'est alors que son téléphone portable se mit à vibrer. Sandra s'immobilisa à deux pas de la porte. Elle pâlit et Steven comprit qu'elle partageait son appréhension. Il décrocha.

— Allô ?

— Steven !

C'était Nancy et elle semblait dans tous ses états.

Steven s'affaissa contre l'un des murs de la chambre.

— Non, pas Nicky, je vous en prie, murmura-t-il.

— Non, il ne s'agit pas de Nicky. Mais de Jenna... Elle a disparu.

Elles étaient jeunes et belles
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